Rafraîchissons nous un peu la mémoire et allons voir ce que racontent ces mythes.

Qui était Tantale ? 

Un humain, fils de Zeus et de Ploutô ( elle-même fille de Cronos) , qui avait épousé une des filles d'Atlas , la Pléiade Dioné, ou selon certaines versions Euryanissa, fille de Pactole ...On voit déjà dans sa généalogie que ce Tantale ne sera pas un humain comme les autres : la richesse ruisselle sur son berceau ; dans cette famille, le temps (Cronos), c'est de l'argent (Ploutô) , il mène le monde (Atlas /Pactole).

Extrêmement riche , très apprécié des dieux, Tantale est souvent convié à leurs banquets, il partage avec eux le Nectar et l'Ambroisie mais son orgueil l'entraîne à vouloir faire goûter ces mets divins aux mortels, à leur raconter les frasques et les excès du panthéon, déclenchant alors le courroux des Olympiens ; par vengeance, il décida de tuer son propre fils et de l'offrir en festin à ses hôtes, sûr de pouvoir tromper leur prétendue omniscience . Son insolence et son mépris lui valurent une sévère punition - le fameux supplice de Tantale  - : Homère dans L'Odyssée, le décrit comme un être en proie à une faim et une soif éternelles,  nourritures et breuvages s'éloignent de sa main , de sa bouche, dès qu'il les en approche.

Pour n'avoir pas su rester à sa place et se contenter de ce que les Dieux de l'Olympe voulaient bien lui accorder , pour avoir  trahi leur confiance et commis l'horreur de l'infanticide et de l'anthropophagie, il sera condamné à un désir inassouvible ...

Qui était Midas ?

     Pour avoir recueilli son ami Silène, qui errait, ivre, sur les terres du roi  Midas, Dionysos offrit à ce dernier d'exaucer son voeu le plus cher : il choisit  alors la possibilité de transformer en or tout ce qu'il touchait ; ce choix stupide le condamnait à mort rapidement  ... Quand il eut enfin compris son erreur, Midas vint supplier Dionysos de reprendre son présent ; le dieu du Vin et du Plaisir lui conseilla de se laver les mains dans les eaux du Pactole (fonds aurifères de la Phrygie , région d'Asie mineure entre la Lydie -dont le principal roi fut un certain Crésus- et la Cappadoce) . 

Bref ! On voit que là aussi  le langage courant actuel charrie bon nombre d'expressions, qui nous viennent tout droit de cette mythologie antique , et,  avec elle, des comportements humains , qui n'ont guère évolué depuis ces temps mythologiques.  

Qui était Sisyphe ?

Il était le fils d'Eole ( Dieu du vent, celui qui colporte la rumeur); Dans l'Iliade, Homère raconte qu'il dénonça Zeus , pour avoir enlevé  la fille du dieu -fleuve Asopos. Se sentant trahi, Zeus veut se venger et envoie la mort chercher Sisyphe mais le fils du vent est rusé, il réussit à l'enchaîner ... Pendant un temps, personne ne mourrut ; Hermès dut descendre au secours de la mort et Sisyphe se soumettre. Quand il arriva aux Enfers, il usa d'un nouveau stratagème pour regagner l'autre rive du Styx : il avait demandé à son épouse de ne pas faire les sacrifices rituels ,ni de lui donner sépulture ; il convainquit Perséphone de le laisser repartir pour punir cette épouse impie et il ignora de retourner chez Hadès ! Quand il fut vieux et mourut pour la seconde fois, les dieux lui imposèrent un terrible châtiment, auquel il ne saurait se soustraire: il fut condamné à pousser éternellement en haut d'une colline un énorme rocher , qui dévale la pente sitôt arrivé au sommet.

 "Le rocher de Sisyphe" est devenu dans le langage courant une expression , qui désigne une tâche absurde et répétitive, un "bullshit Job" , qui broie celui qui s'y emploie ...

Tous les grands chocs émotionnels de masse (attentats, scandales, guerres, pandémies , catastrophes naturelles ...) permettent d'observer la profondeur de l'inscription des mythes  à travers les générations, dans les constructions mentales des civilisations, parce qu'ils nous montrent la permanence d'une certaine conception de l'ordre social, économique et politique. 

 Une logique tantalienne est à l'oeuvre dans les politiques d'austérité , qui martyrisent les pauvres sous prétexte de sauver le système face à la menace absolue d'une dette ,dont ils seraient responsables par leur abus des aides publiques : pour justifier leur violence , les dominants font circuler des récits, qui  ont pour but de justifier la nature infâme, barbare, impure , donc sacrifiable des dominés ... Dans les récits des dominants, les pauvres sont pauvres parce qu'ils sont fainéants, incultes, racistes, sexistes, viandards, drogués, alcooliques ...

Il y a de la graine de révolutionnaire chez Tantale, il s'asseoit au banquet des dieux mais il dérobe le nectar et l'ambroisie pour la faire goûter aux mortels , il leur raconte les turpitudes des dominants . Comme Sisyphe , qui révèle à Asopos, le crime de Zeus en échange d'une source pour sa ville , ces deux personnages  sont des " transclasses", selon le concept de la philosophe Chantal Jaquet . Ils veulent que ça ruisselle , que les privilégiés laissent un peu plus que des miettes à ceux qui sont en dessous ... Mais leur stratégie semble vouée à l'échec , leurs rêves , leurs ambitions font d'eux des dominés désirables pour les dominants, car ils sous-traitent le rapport de domination : à la fin, ce sont toujours les dominants qui gagnent  !

 Le pauvre Tantale continuera à baver d'envie devant les agapes divines, en ayant le ventre creux ; Sisyphe travaillera toujours plus pour ne rien gagner, que le droit de continuer à pousser son rocher; quant à cet âne de Midas, il n'a toujours pas compris qu'il avait de l'or dans les mains et que cela suffirait pour le bien nourrir, il préfère s'en laver les mains dans le Pactole , alimentant les Crésus de la mondialisation .